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samedi 11 juin 2016

Ce qu’on appelait un « brouillon »

Sous mes yeux ébahis, je remarque, traînant devant un petit tiroir de mon bonheur-du-jour, une feuille jaunasse d’un vieux carnet, toute marquée de ronds marron de tasses à café. Le papier est entièrement couvert de graffitis illisibles et autres pattes de mouche. Cette relique des temps anciens est ce qu’on appelait alors un «brouillon». Jadis, lorsqu’un quidam standard entreprenait d’écrire un texte, lettre ou...
poésie, confession d’amour ou déclaration fiscale, il s’enquérait d’un stylographe et d’un chiffon affiné par l’industrie chimique et désigné à cette époque par le vocable de papyrus, ou encore papier. Imaginons le comportement erratique de cet homo sapiens écrivant. Le choix des termes l’obligeait à la pratique de l’haltérophilie avec un énorme mille-feuille farci de mots appelé dictionnaire. Il s’usait les doigts à le compulser, les yeux à le déchiffrer. Il ne pouvait même pas cliquer sur un terme pour en afficher un autre ! Inverser une subordonnée, déplacer un paragraphe, modifier une conjonction n’était pas une sinécure. A moins qu’il ne se contentât de son idée primitive, le néandertalien de l’écriture se transformait en expert du gommage, du recopiage, de la rature, du rappel et de la flèche, en un mot du gribouillage. Quant à la future mise en page, seule l’imagination pouvait la laisser entrevoir. Par nature, le brouillon était brouillé. C’était probablement son charme.