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jeudi 15 février 2018

Toutes les lettres d'amour sont ridicules

"Toutes les lettres d'amour sont ridicules" …


Connaissez-vous cette poésie du poète portugais Fernando Pessoa ? En portugais "Todas as cartas de amor são ridículas"


Dans cette vidéo, la voici dite en trois langues (superbement) par Maria de Medeiros



En portugais :


Todas as cartas de amor são 
Ridículas. 

Não seriam cartas de amor se não fossem 

Ridículas. 



Também escrevi em meu tempo cartas de amor, 

Como as outras, 

Ridículas. 



As cartas de amor, se há amor, 

Têm de ser 

Ridículas. 

Mas, afinal, 
Só as criaturas que nunca escreveram 
Cartas de amor 
É que são 
Ridículas. 

Quem me dera no tempo em que escrevia 
Sem dar por isso 
Cartas de amor 
Ridículas. 

A verdade é que hoje 
As minhas memórias 
Dessas cartas de amor 
É que são 
Ridículas. 

(Todas as palavras esdrúxulas, 
Como os sentimentos esdrúxulos, 
São naturalmente 
Ridículas.) 

Álvaro de Campos, in "Poemas" . Heterónimo de Fernando Pessoa


La voici dite par Maria Bethania, avec son bel accent brésilien :




Traduite en français

Toutes les lettres d'amour sont
Ridicules.

Elles ne seraient pas des lettres d'amour si elles n'étaient pas
Ridicules.

Moi aussi en mon temps j'ai écrit des lettres d'amour,
Comme les autres,
Ridicules.

Les lettres d'amour, si amour il y a,
Sont fatalement
Ridicules.

Mais, tout bien compté,
Il n'y a guère que ceux qui jamais
N'ont écrit de lettres d'amour
Qui sont
Ridicules.

Ah, retrouver le temps où j'écrivais
A mon insu
Des lettres d'amour
Ridicules ...

La vérité c'est qu'aujourd'hui
Ce sont mes souvenirs
De ces lettres d'amour
Qui sont
Ridicules.

(Tous les mots malaisément accentués, (proparoxytoniques*)
Comme les sentiments excessivement singuliers (paroxystiques)
Sont naturellement
Ridicules.) 

Álvaro de Campos, in "Poemas" . Hétéronyme de Fernando Pessoa

(*) Proparoxytonique :

s’applique à un mot dont l’accent tonique appuie sur l’antépénultième syllabe (ce qui constitue une exception dans une langue comme le portugais où il est le plus souvent marqué sur l’avant-dernière). Notons que l’adjectif portugais esdrúxulo qui signifie proparoxytonique porte justement l’accent tonique sur la syllabe drú. Ce mot est donc autoréférent. 
Sous la plume de Pessoa, s'appliquant aux mots ou aux sentiments, l'adjectif esdrúxulo peut s'interpréter comme saugrenu.



Sur Internet, il est facile de trouver des modèles tout prêts de lettres d'amour


Naturellement, elles sont ridicules. Parfois très ridicules !

Trois extraits :

  • En te voyant mon cœur s’est emballé comme un moteur de course…
  • De t'avoir touché, mes mains tremblent comme des ailes de papillon de nuit dans la brise du soir…
  • Ma respiration est coupée, j'étouffe, je meurs, j'agonise. Un mot de toi et je ressuscite… 

De beaux SMS anonymes sur le compte Instagram "Amours solitaires"

  • Si tu savais à quel point je t'aime, tu t'enfuirais
  • Déshabille-toi, j'ai à te parler.

Sur le site http://www.deslettres.fr/ , des lettres d'amour de grands auteurs

Ridicules ? A vous d'en juger. 

· Benjamin Constant à Anna Lindsay 1800. 

Je vous verrai demain, mais je veux vous écrire. Je veux arrêter ces moments fugitifs qui se termineront par ma perte. Je vous écris d’une main tremblante, respirant à peine et le front couvert de sueur. 



· Camille Claudel à Auguste Rodin 1886

Je suis bien fâchée d’apprendre que vous êtes encore malade. Je suis sûre que vous avez encore fait des excès de nourriture dans vos maudits dîners, avec le maudit monde que je déteste, qui vous prend votre santé et qui ne vous rend rien.



· François Mauriac à Jeanne Lafon 1912

Autrefois, ivre de mes petits succès, dévoré d’orgueil, je vous eusse fait souffrir. Aujourd’hui, blessé par la vie, je me réfugie en vous. Je ne vis que de votre tendresse. Toute autre femme me paraît inexistante. Je vous aime.



· Juliette Drouet à Victor Hugo 1864

Bonjour, petit oiseau, bonjour et merci, porte ce baiser à mon Toto et dis-lui de venir tout de suite me voir et que je l’adore.

· Chateaubriand à Léontine de Villeneuve 1828
Mais si vous vous avisez d’aimer quelqu’un et de l’épouser, ma tête grise se présentera à vous la nuit, comme la tête de Méduse, et je partirai avec tous mes rhumatismes pour vous étrangler.

· Voltaire à Madame Denis 1745
Je vous embrasse mille fois. Mon âme embrasse la vôtre, mon vit et mon cœur sont amoureux de vous. J’embrasse votre gentil cul et votre adorable personne.

Petite Ophélinha,
Comme je ne voudrais pas que vous disiez que je ne vous ai pas écrit, parce que je ne vous ai effectivement pas écrit, je vous écris. Ce ne sera pas seulement une ligne, comme je vous l’ai promis, mais ce ne seront pas plusieurs non plus. Je suis malade, en grande partie en raison d’une série de préoccupations et de contrariétés que j’ai eues hier. Si vous ne voulez pas croire que je suis malade, évidemment vous ne le croirez pas. Mais je vous prie de ne pas me dire que vous ne me croyez pas. Il me suffit déjà d’être malade : il n’est pas nécessaire en plus que vous en doutiez ou que vous me demandiez des comptes sur ma santé comme si elle dépendait de ma volonté ou que je sois obligé de rendre des comptes à quelqu’un de quoi que ce soit. 
Voilà ce que j’avais à vous dire et, par hasard, c’est la vérité. Adieu, petite Ophélia. Dormez, mangez et ne perdez pas trop de poids.

Et le texte portugais :
Ophelinha pequena: 
Como não quero que diga que eu não lhe escrevi, por efectivamente não ter escrito, estou escrevendo. Não será uma linha, como prometi, mas não serão muitas. Estou doente, principalmente por causa da série de preocupações e arrelias que tive ontem. Se não quer acreditar que estou doente, evidentemente não acreditará. Mas peço o favor de me não dizer que não acredita. Bem me basta estar doente; não é preciso ainda vir duvidar disso, ou pedir-me contas da minha saúde como se estivesse na minha vontade, ou eu tivesse obrigação de dar contas a alguém de qualquer coisa. 

Ora aí tem, e, por acaso é a verdade. Adeus, Ophelinha. Durma e coma, e não perca gramas.



· George Sand à Alfred Musset: une lettre qui se lit en sautant un vers sur deux… (cette pudeur serait-elle ridicule ?)

Je suis très émue de vous dire que j'ai

bien compris l'autre soir que vous aviez

toujours une envie folle de me faire

danser. Je garde le souvenir de votre

baiser et je voudrais bien que ce soit

là une preuve que je puisse être aimée

par vous. Je suis prête à vous montrer mon
affection toute désintéressée et sans cal-
cul, et si vous voulez me voir aussi
vous dévoiler sans artifice mon âme
toute nue, venez me faire une visite.
Nous causerons en amis, franchement.
Je vous prouverai que je suis la femme
sincère, capable de vous offrir l'affection
la plus profonde comme la plus étroite
en amitié, en un mot la meilleure preuve
dont vous puissiez rêver, puisque votre
âme est libre. Pensez que la solitude où j'ha-
bite est bien longue, bien dure et souvent
difficile. Ainsi en y songeant j'ai l'âme
grosse. Accourrez donc vite et venez me la
faire oublier par l'amour où je veux me
mettre. 

· François Mitterrand à Anne Pingeot
Je ne vous ai pas dit mon secret:
Je ressemble à un coquillage de façon si troublante
Qu'on me prend pour un coquillage.
On me pousse du pied.
On me jette à la mer.
On me garde dans la poche.
On m'ajoute au décor, sur un rayon de livres.
Bref, on me traite en objet inutile.
Il arrive pourtant qu'un enfant me ramasse, me regarde et m'aime.
Et quand on m'aime,
Apprenez-le à tout hasard,
C'est comme si tous les océans du monde, tous les ciels, tous les
continents se donnaient rendez-vous.
Rendez-vous.
Où ?
J'allais écrire: dans mon cœur. Dans mon cœur ?

Ridicules ces lettres ?...

Mais si elles ne l'étaient pas, cela prouverait, selon Pessoa, que l'amour n'est pas là....