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mercredi 2 novembre 2016

Ceci est une exposition : Magritte au Centre Pompidou

Trahison des images


Comme l’affirme sans risque la brochure de l’expo, les représentations du monde que le peintre nous donne sont trompeuses, énigmatiques. Magritte l’a bien dit : « Je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère… ». Décalage entre l’objet et sa représentation, Trahison des images en effet. 

Magritte : « Qui pourrait fumer la pipe de mon tableau ? Personne. Alors ce n'est pas une pipe. »

Adepte du comique de répétition, Magritte a intitulé une de ses dernières œuvres « Ceci n'est toujours pas une pipe ».

Magritte : un incorrigible plaisantin ? Comment vas-tu…yau de poêle ?

Ambiguïté, burlesque, dérision… En un mot, humour.

J’ai entendu à l’expo le rire jovial d’un enfant en contemplation devant l’improbable locomotive de « La durée poignardée ». Le non-sens de cette fumante sortie du tunnel dans un salon bourgeois bien ordonné sonne comme un énorme gag, et m’a fait penser à
la facétie absurde d’un « Comment vas-tu…yau de poêle?»

Rire aussi devant « Les vacances de Hegel » : le parapluie et l’eau comme deux complices concurrents mis dos-à-dos. On imagine le spectateur arroseur-arrosé qui tiendrait le manche…

Espièglerie encore pour ce phallo-nasique représenté dans la « Lampe philosophique ».
Inspiration conceptuelle grâce à la lumière de la flamme. Respiration en boucle, comme une réflexion ridiculement égocentriste d’un penseur borné… On peut en pouffer de rire.
Et si on doute encore de l’affection de Magritte pour l’ironie, voici une lettre adressée à un critique d’art malveillant en 1936

Des toiles léchées

L’effet d’étrangeté ne serait pas aussi fort sans le traitement pictural d’une extrême précision. Si Magritte avait peint des raisins, comme pour son ancêtre Zeuxis, les oiseaux seraient venus picorer la toile. Opposition troublante entre le réalisme de l’image et l’inconcevable scène. Les modelés sont véridiques, les ombres convaincantes. Seuls des aplats trop sereins avouent la supercherie.


Un artiste grand public

Didier Ottinger, commissaire de l'exposition : « Sa formation d'affichiste l'a doté d'une redoutable efficacité dans l'impact des images. Il a d'ailleurs été incroyablement pillé dans la pub. C'est un artiste à la fois très grand public et très conceptuel, sophistiqué ».


Un artiste conceptuel

Magritte : « Il n’y a rien derrière une image. Il y a derrière les couleurs du tableau, la toile. Derrière la toile, il y a un mur, derrière le mur il y a… etc. Les choses visibles cachent toujours d’autres choses visibles. Mais une image visible ne cache rien »


Toujours un jeu sur le dedans-dehors : la représentation du monde

Présence récurrente de rideaux, nuages volant dans la pièce, altération des proportions, représentations en trompe-l’œil de nos prétendues réalités… 

Magritte soutient jusqu’à l’obsession que notre monde n’est qu’un décor, une aérienne scène de théâtre.

Nous montrant qu’il ne faut pas confondre la poule et l’œuf, il les met cocassement en abyme, les représentant sur une scène de pierre de la grande comédie du monde.

Parlant de la « Comédie humaine », justement, Magritte déclare à propos de notre perception : 

« Je plaçai devant une fenêtre vue de l’intérieur d’une chambre un tableau représentant exactement la partie de paysage recouverte par ce tableau. L’arbre représenté par ce tableau cachait donc l’arbre situé derrière lui, hors de la chambre. Il se trouvait pour le spectateur à la fois à l’intérieur de la chambre sur le tableau et à l’extérieur dans le paysage réel… ».





Dans cette vidéo, on voit Magritte casser une fenêtre 


Magritte : « Prenons une fenêtre quelconque. Supposons que la vitre se brise et que le paysage que l'on voit à travers se brise avec elle. Si cet événement arrive un jour, ce qui est toujours possible j'aimerais qu'un philosophe m'explique ce que sont ces débris de réalité. La fenêtre pose un problème grave : le problème de la condition humaine


Le réel qui s’envole

Magritte : « Je finis par trouver dans l'apparence du monde réel lui-même la même abstraction que dans les tableaux. Car malgré les combinaisons compliquées de détails et de nuances d'un paysage réel, je pouvais le voir comme s'il n'était qu'un rideau placé devant mes yeux. Je devins peu certain de la profondeur d’une campagne, très peu persuadé de l'éloignement du bleu léger de l'horizon, l'expérience immédiate le situant simplement à la hauteur de mes yeux. J'étais dans le même état d'innocence que l'enfant qui croit pouvoir saisir de son berceau l'oiseau qui vole dans le ciel »


Les délectables titres

Outre ceux déjà cités, en voici quelques-uns : « L’invention de la vie », « Reconnaissance infinie », « Avenir des statues », « Le goût des larmes ». Lors de la visite de l’expo, il faut lire les titres des œuvres, même si (comme toujours !) il faut se déplacer pour distinguer les lettres minuscules… 


Magritte : « Lorsque le tableau est peint, il n'est pas encore achevé, il faut lui trouver un titre. Le titre n'est pas une explication, l'image et le mot ont la même valeur poétique. Il faut choisir le titre de telle façon qu'il empêche de situer le tableau dans une région trop familière. »


Beaucoup de monde à Pompidou… bien choisir son heure de visite (jusqu’au 23 janvier)

Bien choisir son heure pour pouvoir distinguer la fameuse pipe (même et surtout si ce n’en est pas une), plutôt que le dos des nombreux visiteurs mitoyens !


Sur Dailymotion, un film de 1960

Un film de 48 minutes  qui a le mérite de montrer de nombreuses toiles, dans l’ordre chronologique (dommage, en basse qualité)