Octobre à Paris
Octobre 1962. M a juste dix-sept ans. Sa famille vient de quitter pour toujours l’Algérie. Il réalise que le Sud dans lequel il a grandi, ce n’est pas juste une question de climat. C’est tellement plus que cela…
Octobre à Paris. Cours d’histoire au lycée Villon. M lève les yeux vers le vasistas, il regarde la bruine tomber… Combien de temps le soleil flamboyant d’Algérie va-t-il encore éclairer sa tête ? Comment pourra-t-il s’attacher à son nouveau pays, cette France qui a dû couper les ponts ?…
Carthage, Bagdad, Rhodes, Tipasa... Tout dire à Jean-Jacques
seulement le beau temps qu’il faut comprendre ! M voudrait lui dire que c’est pour exprimer toute une ardeur de vivre… Il aimerait lui expliquer que c’est une flamme continue dans la tête, millénaire… Une étincelle transmise par tous les peuples de Méditerranée : ces riverains ivres de fulgurante nature, de ferveurs farouches, de courages irraisonnables. Dans des pays irrigués de folles intrigues, de treilles succulentes, d’écumes amoureuses, d’homériques aventures. C’est le carburant de la vie conçu le long des siècles par l’Homme du Sud : moutons et bœufs, blé et olivier, fruits et fleurs, légumes… Labourage et pâturage, tout ça fut inventé sous le grand Soleil du Sud ! Sans compter l’écriture !... L’écriture qui a construit les civilisations. Son sud, il embrasse la mer du Milieu, celle qui fait la sieste en se souvenant de Carthage, Bagdad, Rhodes, Tipasa, de Venise même. Il faudrait conter à Jean-Jacques autant la grande Histoire que les petites. Comme la peau hâlée des filles et le sel des anchois, les odeurs des absinthes et le cuivre du sang. Tellement plus que la simple météo ! Même les chiens qui aboient longtemps dans les nuits scintillantes, craignant les séismes, c’est œuvre de notre Dieu Soleil. La terre chez nous tremble encore des moussems berbères et des chevauchées andalouses. Des combats dans les colisées. Tout comme elle frémit des bombes éclatées par les passions trop entières. Tant de choses à lui dire ! Que notre Sud, c’est le Livre grand ouvert sur les trois religions. Que... Mais tout ça, c’est trop difficile à expliquer à Jean-Jacques : à dix-sept ans, les maux sont déjà là, mais les mots manquent. Alors M lui dit juste … pas grand chose… qu’il se fie à lui, qu’il aura la patience d’attendre sa belle saison… La bruine va bien s’arrêter.