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lundi 18 juillet 2016

Les coups du Soleil d'Algérie

M a dix ans en 1960. Malgré les dangers de la guerre, des amis de ses parents l’emmènent passer des journées entières à la plage, près d’Alger.


Cette année, l’été algérien l’illumine de bleu. Près de Cherchell, allongé sur l’immense plage, il devient minéral à force de sable : un agrégat d’os. Corps avec son pays premier. S’y lover comme un serpent, peau offerte au sirocco qui souffle... Les milliards de petits grains le bordent. C’est toute l’Afrique saharienne qui pousse. M ne s’ennuie jamais étendu sur la plage. Ses doigts malaxent l’enchevêtrement complexe. Déranger ce désert, provoquer l’aléa, comme les séismes et la guerre brisent la naïveté d’un monde. Ici son pays est une mer de
quartz, ardente, déchaînée et immobile. Un feu chaotique d’arabesques de hasard. Un tapis orange. Ocre foncé. Ou plutôt noir. Oui, noir dans ses ombres multiples, de loin en loin, dans ses éblouissements. Le regard assoiffé, gavé de soleil d'or, cherche le bleu des vagues. Le bain alors enivre. Le corps était minéral, il devient poisson. L’eau cajole, longtemps. Les petites ondes bondissent. Caressent le cou, le ventre, les cuisses. Les pieds éclaboussent, caudaux. La main crawle, plonge dans la transparence, replonge dans la douceur : une nageoire d'argent qui passe et repasse devant le ciel tout bleu. Dégoulinant d'écume, semant mille éclats de mousse. La terre s’éloigne doucement… il y a danger … on pourrait mourir, attiré au large par la fraîcheur de cet amour du monde. On pourrait nager encore et encore, au risque de la vie… Boire la tasse, s'en prendre des litres… Comme le petit Arabe ramené hier sur le rivage, tout vert d’algues, tout plein de vomissures, que M avait vu partir à dache, qu’il n’a pas pu aider. Comme lui, délicieusement attiré par les abysses, M pourrait nager, ivre de vertige, plonger sans fin et se perdre, se noyer dans les profondeurs de cette mer si tendre. Mais, même enfant, on est faible. Alors, s’il reste un peu de force, on retourne, on retrouve le sable ferme et le soleil vivant. On tousse les méchantes tasses, on ravale que la mer trop aimante est un affreux péril... On se recouche, le dos s'enlise dans le sable brûlant, un régal... Peu à peu le jour avance, l’astre descend sur l’eau comme si lui aussi cherchait à fondre. Sur la plage, les corps étendus sont incandescents de sel, de sueur, de désir. Les yeux de la voisine sont noirs, ils ont dix ans comme M, et ils s’épient en silence, brûlant sans leurs serviettes. De retour, le soir, la peau écarlate des coups du soleil, dénudé sur le drap tout frais de pénombre, M revoit ses cheveux brun étals, son ventre de lézard, trois grains de sable collés à sa cuisse, l’agacement de son pied. M la rejoint en cherchant le bonheur.