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jeudi 5 janvier 2017

La photo, cette révélatrice

Vers une nouvelle appli

Le Face-Swap, dont j’ai déjà parlé dans ce blog, c’est rigolo, mais il faudrait que nos technologues inventent une nouvelle appli photographique pour smartphone, une appli qui à partir d’un portrait quelconque saurait afficher illico les multiples visages de la personne prise. Double visage, triple visage… 

L’appli , quasi magique, pourrait être expérimentée sur des cas élémentaires, en politique par exemple. Certains dirigeants actuels ou passés permettraient de réaliser un test très probant. Même l’œil nu sait dévoiler leurs autres facettes. Pour notre Chirac national par exemple, l’écran afficherait un joli diptyque : d’un côté sa brave face tête de veau amateur de bonnes bières, de l’autre son œil froid de prédateur politique.
Voilà donc une future appli bien facétieuse. Mais aussi fort utile : avant tout scrutin, les panneaux électoraux faciliteraient notre choix en affichant les faces masquées des candidats de tous bords.

Autre usage concernant le mariage : avant de dire oui devant Monsieur le Maire, chaque futur pourrait consulter l’appli évitant que ne se dévoile avec le temps un autre minois de la personne aimée. 

Dans le domaine du théâtre ou du cinéma, à propos d’interprètes, le nombre d’images
exhibées serait proportionnel à leur talent. Celui de Depardieu est grand, ainsi l’appli montrerait nombre de ses visages : nasiques et pleins d’amour pour Cyrano, la physionomie de Raspoutine, l’œil aventurier de Christophe Colomb, sans oublier une bille plus frivole de Valseuse en goguette...
 
Programmeurs, à vos claviers !

À moins que…


À moins que la photographie ne possède déjà cet incroyable pouvoir ! Un portrait, même maladroit, révèle des traits inattendus du caractère. Un tel, qui paraît à tous très à l’aise, peut dévoiler une timidité imprévue, y compris sur une banale identité de Photomaton. Un tourment secret se découvre tapi derrière un pseudo sourire. 

C’est que l’image a été figée, et en perdant la dynamique du mouvement, elle a gagné le temps de l’essentiel regard. Un coin fugitif, une ombre passagère, un éclat soudain passant dans l’œil de la personne photographiée seront fixés… (que ce mot a bien été choisi). On peut dévisager une photo à loisir, alors qu’un face à face direct proscrit cette belle immobilité du simple fait que les images défilent sans retenue, chacune se chargeant d’affecter la précédente. Cela brouille le regard et laisse méconnus les petits mystères, ou les plus grands.

Pour traire

Le portrait photographique s’est répandu dès le XIXème, avec la rencontre d'une technique et des avancées de l'individualisme.

Nadar - Portrait de dos : Marie Laurent


Une étymologie du mot« portrait » affirme qu’il s’est formé à partir de « pour » et de « traire », au sens de tirer. Le portrait doit tout tirer du modèle, jusqu’à la confidence, jusqu’aux autres visages. Il n’est jamais neutre, allant jusqu’à exhiber derrière un « moi » d’affichage d’autres « moi » moins sociaux, plus privés, intimes, etc... Et bien sûr (peut-être surtout) le « moi » du photographe. Barthes s’en était d’ailleurs plaint : 

"Ah ! si au moins la photographie pouvait me donner un corps neutre, anatomique, un corps qui ne signifie rien."

Faire mieux que le Photomaton ?
John Laughlin - The mask grow to us

La photographie est un sacré révélateur et donc, pour l’instant, nous saurons nous passer de l’appli miraculeuse. À condition quand même de tenter de faire autrement (mieux ?) que le Photomaton. Sans doute le photographe doit-il pénétrer assez l’environnement du modèle, en faire son milieu singulier, ajuster les relations psychologiques avec lui, insérer son dispositif personnel de capture (selon les paroles de Jean-Luc Cormier)… Avant d’appuyer sur le déclencheur, puis de lire sur le cliché un mille-feuilles de la personnalité piégée.