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jeudi 4 août 2016

Nice : un attentat terroriste de Daech ? Peu probable… Pourquoi alors nous le présenter ainsi ?

Dans le billet du 16 juillet , je m’inquiétais de certaines sur-réactions face à la tuerie de Nice :
excès des médias, déclarations inopportunes de nombreux politiques et aussi certains posts d’internautes amplifiant involontairement le retentissement voulu par Daech. Puisqu’un des buts visés par l’autoproclamé EI est de semer la terreur en Occident et d’y radicaliser l’opinion, autant de pas lui prêter main-forte par notre attitude. Depuis, Le Monde et BFM-TV ont décidé de ne plus publier de photos de terroristes, afin d’ « éviter d’éventuels effets de glorification posthume ». C’est bien le minimum !

L’assassin de Nice est-il un djihadiste ?

Aujourd’hui, deux semaines après la tuerie, la question se pose sous
un jour nouveau. En effet, à mesure que l’enquête avance, il semble de moins en moins probable que ce Mohamed Lahouaiej Bouhlel soit le terroriste islamiste partisan de Daech servi par nos informateurs. Au contraire, les témoignages se rejoignent pour décrire un individu peu concerné par sa religion : alcool, drogue, pratiques sexuelles réprouvées par la tradition islamique, irrespect du jeûne du Ramadan, délaissement des mosquées… Aucun exemplaire du Coran n’a été retrouvé à son domicile. Surprenant pour qui nous a été vite montré comme un « salafiste ».
Par ailleurs, Bouhlel avait présenté de graves troubles psychiatriques. « Il n’avait pas toute sa tête » déclare un voisin. C’était un homme violent, condamné à six mois de prison avec sursis pour agression. Sa vie sociale était difficile : insolvabilité, instance de divorce après une séparation de sa famille par la justice.

La faible probabilité d’un attentat islamiste

Un tel état mental peut sans doute mener à des pulsions morbides, puis à une radicalisation éclair, enfin à une soumission aux appels au meurtre tous azimuts de Daech. C’est ce que défend la thèse officielle. Une telle obédience expresse à l’EI est peu probable, néanmoins possible. Pourtant moins probable encore si on compare d’une part la préméditation et la planification minutieuse des crimes avec d’autre part l’absence totale de message publiant son statut de «soldat de Daech ». Aucune lettre disant sa nouvelle foi, pas de post indiquant le sens politique de son geste, ni de cri évoquant Allah. Rien de cela. Aucun indice d’allégeance à l’Etat islamique, ni précoce, ni tardif.
Quant à la revendication par les dirigeants de Daech, elle a été longue à venir, peu précise. Et on se demande pourquoi, même sans relation avec la tuerie, l’organisation ne l’aurait pas opportunément revendiquée, histoire de d’engranger enfin un succès dans le cadre général de leur recul militaire. Leur message ne prouve donc strictement rien.
En résumé, la probabilité d’avoir affaire à un attentat islamiste certes existe ; mais elle est très faible. En toute rigueur, on ne sait donc pas si ce Bouhlel est un fou djihadiste ou un dément païen. Ou une étrange et effroyable moyenne entre les deux.

Pourquoi alors présenter Bouhlel comme un combattant d’Allah ?

La question alors est la suivante : pourquoi ne pas exprimer une incertitude concernant la radicalisation de Bouhlel ? Pourquoi le présenter sans précaution comme un combattant d’Allah, comme un soldat important l’horreur et la guerre moyen-orientale dans notre pays ? Le besoin de sensationnel des médias est-il si grand pour ainsi forcer le trait ? Le désir d’autorité de nos politiques est-il si fort ? Nos dirigeants ne disposent plus des leviers budgétaires et monétaires, et leur discours est aujourd’hui privé d’idéologie. Il ne leur reste donc qu’un certain pouvoir d’ordre militaire, celui qui rallie le peuple désireux de protection face aux risques, réels ou amplifiés… Certes, le péril terroriste est avéré : mais il est inutile, et certainement contre-productif, de l’exagérer… « La France est en guerre » : ce discours gouvernemental (non infirmé par la droite), sert un peu trop ceux-là mêmes qui le tiennent, et il est exagérément répété pour que nous l’admettions en toute confiance. Il y a là un léger relent de prédications style Corée du Nord, ou façon 1984, qu’il faudrait analyser.

Ne pas céder aux vents mauvais des populismes

Il semble qu’à certaines époques historiques soufflent sur la planète des vents étonnamment convergents. Autour des années 68, les alizés sociétaux et politiques dirigeaient les peuples vers la défense de la Liberté et de la Justice, quitte à gravement oublier les dérives communistes. Aujourd’hui, la tourmente idéologique souffle le repli sur soi, la méfiance vis-à-vis de l’étranger, les obsessions sécuritaires, des populismes aigris aux analyses courtes. Tout se passe comme si les différents acteurs politiques étaient poussés dans ce sens par une force qu’ils ne contrôlent pas : le déplacement tumultueux quasi mondial des opinions vers la droite nationaliste extrême.

Nos médias et dirigeants, en affirmant que Bouhlel est un djihadiste alors que tout semble prouver le contraire, ne cèderaient-ils pas à ces vents mauvais par une sorte d’opportunisme plus ou moins conscient ? Il y a un mot approché pour désigner cela : récupération.