Les Contes cruels de Paula Rego sont exposés au Musée de l'Orangerie, jardin des Tuileries, place de la Concorde. Jusqu'au 14 janvier 2019.
Les contes cruels
Qui ne se souvient de ses angoisses d'enfant, après qu'un parent nous a lu telle ou telle cruelle histoire mettant en scène une fée empoisonneuse ou un terrible loup. Qui n'a pas encore sur la rétine d'épouvantables images d'ogres et de démons figurant sur un livre de contes alors posé sur les genoux. Passant d'un tableau à l'autre dans les couloirs de l'Orangerie, ces anxiétés-là, fixées en nous depuis l'enfance, se raniment. Comme dans un mauvais songe.
C'est que, malgré ses 83 ans, Paula Rego se dit « toujours une petite fille ». Elle déclare au Telegraph en 2016 : « Je suis la même aujourd’hui qu’alors. C’est idiot d’être si âgée et toujours si effrayée. »
Frissonner du Mal, et s'en régaler…
Manifestement, Paula Rego se régale de figurer ces frayeurs. Ce qu'elle nous sert dans ses toiles de prétendument enfantin n'a plus rien d'infantile. Parce que notre conscience de grande personne sait que le loup affamé et la goutte de sang sont des métaphores. Parce qu'adultes tout empreints de ces lointaines épouvantes, nous ressentons avec d'autant plus de force dans les œuvres de Paula Rego les doubles significations de ses bestiaires fantasmagoriques et de ses postures gaillardes.
Dans La Petite Meurtrière (1987), une fillette s'apprête à étrangler en douce un(e) inconnu(e) avec un joli ruban. En moins explicitement sexué, il y a là quelque chose de Balthus.
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La Petite Meurtrière |
Cruauté et perversion s'enduisent de noir dans la série de gravures des Nursey Rhymes.
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Nursey Rhymes |
Avant qu'on ne la détaille, l'image de War (2003) semble sortie d'un livre de légendes pour
enfant. Animalité dans les comportements humains et anthropomorphisme des bêtes…
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War |
Que chuchote cette fée bleue à l'oreille de Pinocchio ? Sans doute rien d'avouable…
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Pinocchio (détail) |
Comme dans les récits de la Comtesse de Ségur, Paula Rego met en scène châtiments sadiques et méchantes réprimandes. "La tension entre l'état naturel et originel (celui de l'enfance) et la coercition sociale (l'éducation, le couple, la hiérarchie, la famille) est au cœur de ses sujets" (commentaire publié dans l'expo).
The Pillow-man, il s'agit d'étouffer ses enfants sous un oreiller pour leur éviter une vie de souffrances. Voilà qui rappelle le conte du Petit Poucet et de ses frères que les parents veulent perdre dans la forêt profonde.
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The Pillowman |
Une inspiration foncièrement féministe. Des références littéraires
Il y a une histoire que Rego aime raconter et qui, selon elle, est particulièrement portugaise. "Il était une fois un bûcheron qui un jour sortit de chez lui. Pendant son absence, sa femme s'est rendu compte qu'elle était à court de nourriture. Elle ne voulait pas que son mari ait faim, alors elle a coupé son sein droit et l'a cuisiné pour lui. Quand il est revenu, il s’est assis et a tout mangé. Le lendemain, ils étaient toujours à court de nourriture, alors, désespérée, elle a coupé son sein gauche. Il a demandé pourquoi et elle a répondu qu'elle le préparerait pour lui car il n'y avait rien d'autre. Il soupira et dit que les deux seins mangés, elle devrait cuisiner avec les enfants. "
Violence et satire sociale dans les Bonnes (1987), toile inspirée de la pièce éponyme de Jean Genet où les deux sœurs domestiques projettent de tuer leur maîtresse.
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les Bonnes |
La femme-chien 1994 semble prête à une révolte sauvage face à un maître masculin que l'on devine présent, hors cadre.
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La femme-chien |
Les charognards 1994, dans la même veine.
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Les charognards |
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Les charognards (détail) |
Des compositions érotisées, surréalistes
Comme dans la Fille du Policier 1987 où les relations père-fille sont quelque peu équivoques. "Ah, elle est en train de baiser sa botte," a commenté Rego.
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Fille du Policier |
Dans La famille 1988, le gynécée est tout puissant. Un homme convenable réduit à l'état de pantin est assis sur un lit tandis que sa femme, sa fille le dévêtent. Par plaisir, par vengeance ?
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La famille |
Depuis le milieu des années 90, Paula Rego tourne le dos à la peinture et travaille principalement au pastel. "Oui. Pastel, pastel, pastel, pastel, pastel", déclare-t-elle lors d'une interview au Guardian. "Je ne suis pas folle de la qualité lyrique du pinceau. Je préfère de loin la dureté du bâton parce que c'est kkkkkrrrrrr . Le bâton est plus féroce, beaucoup plus agressif." Comme elle? Elle sourit "Je ne suis pas agressive, je suis une personne très douce et bien élevée."
Les autruches dansantes, 1994, inspirées de Fantasia de Dysney, invoquent une prise de pouvoir des corps féminins, tutus relevés et sexes en avant. S'agirait-il d'un deuil assumé de la société patriarcale ?
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Les autruches dansantes |
Une artiste méconnue en France
Les formats sont grands, la composition théâtrale. Un certain réalisme magique distord les proportions pour un art audacieux complètement hors des codes. Une puissance expressive mettant en scène un monde onirique et intime d'une grande densité.
Le talent est là, si évident devant nos yeux, et il demeure incompréhensible que cette artiste ait été si peu présentée et donc connue en France alors qu'elle a acquis une place importante sur la scène artistique internationale.
Née à Lisbonne, Paula Rego a quitté adolescente le Portugal et la dictature de Salazar pour faire ses études à Londres où elle vit depuis. Elle y a côtoyé Francis Bacon, Lucian Freud, David Hockney.
Rego est célébrée au Portugal par un superbe musée dénommé "House Of Stories" et situé non loin de Lisbonne, à Cascais.
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House Of Stories |
Le bâtiment est orange vif, rectangle, minimaliste, surmonté de deux énormes pyramides. "Vous savez comment ils l'appellent?" déclare Rigo en rigolant. "Le crématorium."
Une vidéo d'animation