Onglets

lundi 6 mars 2017

Construire son Panthéon personnel (suite)


Lors d’un précédent article, j’avais énuméré les personnages qui ont certainement transformé ma vision de la vie, les grandes figures que je place dans mon Panthéon personnel. 

Les premiers cités étaient Albert Camus - Jean-Sébastien Bach - Rimbaud - Éric Rohmer - Marguerite Duras et j’avais indiqué brièvement pourquoi. 

Quant aux nommés suivants, je vais aussi en quelques lignes leur rendre hommage, en commençant par V. Van Gogh - L.F. Céline - J. H. Lartigue - Kafka - Kateb Yacine


V. Van Gogh :

Comment des vues a priori banales (comme celle d’un champ de blé en été, d’une église) peuvent prendre une force quasi tellurique au travers du regard d’un
homme. Traits épais au couteau presque délirants, dessin torturé, couleurs filtrées par le tourment du mental… Van Gogh a créé l’image incarnée, l’image faite humaine. Il nous apprend que chacun peut avoir sa perception propre de la prétendue réalité du monde. Il nous montre combien chaque image perçue peut se corrompre, passée au crible de notre subjectif.


L.F. Céline :

Celui qui a écrit et dénoncé les violences d’un certain monde moderne. Style abrupt, elliptique, proche du langage parlé. Une griffe propre à exprimer son dégoût du capitalisme comme du communisme, sa haine des compromissions humaines, de la petitesse des grands. Au bout de sa nuit, le voyage est terrible, menant magnifiquement à l’absurde et au nihilisme. Pour avoir au cœur une telle révolte, sans doute faut-il au départ s’être bercé de bien douces illusions.






J. H. Lartigue :

Pour moi les images du photographe incluent et fixent un certain bonheur de vivre, mais aussi la nostalgie qui va avec. Pour bien le dire, je ne peux que citer cet article de Focus  
   « Regarder les images de Jacques Henri Lartigue, c'est un peu comme profiter jusqu'à la lie des derniers soirs d'été. La légèreté et la gaieté en paraissent les sujets évidents, mais une course sans fin contre le temps les sous-tend. Septembre et sa mélancolie s'annoncent déjà... »


Kafka :

Je me demande parfois si certaines sensations auraient existé sans certaines lectures. Sans Kafka, les représentations du monde n’auraient pas été les mêmes… Tant de choses radicalement modifiées : notre sentiment de la fragilité face au nombre, nos perceptions de la claustration, notre méfiance des systèmes et des grands bureaux étatiques, jusqu’à l’odeur ressentie des poussières et des documents administratifs. Métamorphosés !...



Kateb Yacine :


L’immense auteur algérien de Nedjma. Le roman que les écrivains algériens qualifient de « livre totem », de « livre phare », de « texte-miroir », de « fondateur ». Le roman qui en effet a contribué à fonder mon pays de naissance et de cœur : l’Algérie. Ce pays qui était depuis toujours colonisé, par les Phéniciens, les Romains, les Arabes, les Ottomans, finalement par les Français… et j’en passe. L’héroïne du roman, Nedjma (نجمة Étoile), symbolise le pays encore en gestation au milieu du XXème, et cela depuis la nuit des temps. Le texte, difficile, est publié juste avant le début de la guerre. C’est une œuvre poétique : celle du déracinement, de l’errance, de la libération, de la recherche d’identité, de l’aliénation, du combat. 
Laissons parler Kateb :

« Gloire aux cités vaincues ; elles n’ont pas livré le sel des larmes, pas plus que les guerriers n’ont versé notre sang : la primeur en revient aux épouses, les veuves éruptives qui peuplent toute mort, les veuves conservatrices qui transforment en paix la défaite, n’ayant jamais désespéré des semailles, car le terrain perdu sourit aux sépultures, de même que la nuit n’est qu’ardeur et parfum, ennemie de la couleur et du bruit, car ce pays n’est pas encore venu au monde : trop de pères pour naître au grand jour, trop d’ambitieuses races déçues, mêlées, confondues contraintes de ramper dans les ruines. »