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mardi 14 mars 2017

L’Esprit français – 1969-1989 : sexe et insolence

Jusqu’au 21 mai, la Maison Rouge expose à Paris Bastille « L’Esprit français – contre-cultures en France 1969-1989 ».

Sous les pavés, les pages…

L’exposition entreprend de définir le singulier « esprit français » de l’époque, mélange d’idéalisme et de nihilisme, d’humour noir et d’érotisme. Photographies, affiches, pages de BD, feuilles de magazines, tracts, projections de films se succèdent, sans oublier les importantes œuvres plastiques créées pour l’occasion ainsi que des installations originales.


Des images et des mots


Comment pouvais-je restituer au mieux l’ambiance post soixante-huitarde qui se dégage ? J’ai tenté de retrouver les mots-clefs omniprésents à cette époque, et tout au long des couloirs de l’expo…
Affiche pour le film de Jacques DOILLON


Alternatif 

Mutation 

Anti-héros 

Jubilation 

Pratiques radicales




Couvertures de Hara-Kiri Hebdo 1969/70 (le prédécesseur de Charlie-Hebdo)
       No future   Scatologie   Expression   Nihilisme   Irrévérence   Mauvais esprit 

Le torche brûle - Menstruel féministe animé par Raymonde Arcier

L'idée du Torchon Brûle, journal animé par
Raymonde Astier, est née dans une assemblée générale du MLF, dont les militantes se réunissaient à l'école des Beaux-Arts de Paris, chaque mercredi, tous les quinze jours
MLF   Provoc  Révolte  Marges

Machisme-Féminisme 

Homosexualité    Avant-garde 



Dolmancé et ses fantômes de luxure - Clovis Trouille
          Érotisme  Sexualité  Jouissance  Blasphème  Humour  Libération  Sade

Projections - Photographies de Régis Cany
 Les murs ont la parole   Graffiti  Slogan  Grunge  Destruction  Dégradation Tag Noir  

Affiche de la tendance du syndicat SNES-FSU - École émancipée

Aliénation 
Contre-éducation 
Émancipation 
Contestation 
Égalité des sexes 










Marie France -Pierre et Gilles

Antimilitarisme
Ironie 
Insolence 
Contre-cultures 
Détournement 
Société de consommation










"Le marquis" film de Henri Xhonneux sorti en 1989, à droite son "objet" fétiche
  Sade  Phallocratie  Violence  Sexe No limit  Domination  Contrainte  Dissidence
Le récit est inspiré de l'enfermement du Marquis de Sade à la Bastille. Scénario, dialogues et direction artistique de Roland Topor

La censure, déraison d'état - Alain Lesaux

Censure 
Antisystème 
Liberté 
Communisme 
Arrogance 
Militantisme 
Révolution 
Défense d’interdire 



Violences intérieures : "Il n'y a pas de raison de laisser le bleu, blanc et le rouge à ces cons de français" (à gauche : détail avec Giscard bronzant devant le dernier essai nucléaire français atmosphérique)
Œuvre originale de Kiki Picasso
Pop Mainstream  Pouvoir Dénigrement  Antipatriotisme Détournement de publicité


Conte cruel de la jeunesse, 1987-2017 :
dispositif autour du groupe Berurier Noir
Installation de Claude Levêque

Verbe 
Mots 
Libération 
Internationalisme 
Femme libérée 
Prolétariat 





Aliénation 
Fange 
Prison 
Délire 
Aveuglement 
Prise de conscience 
Punk
Noir







L’étrange actualité de certains thèmes


Certaines couvertures de magazines, certaines affiches surprennent par leur actualité encore omniprésente. Elles auraient pu être éditées en 2017.

Couvertures du Nouvel Observateur 1971/73/76



Les questions strictement politiques étonnamment absentes


Certes, l’expo a pour sujet les courants culturels de l’époque, mais comment parler du feu sans parler du bois qui l’alimente ? Ne répétait-on pas sans cesse à l’époque que « Tout est politique », donc, et surtout, la politique stricto sensu. Sur laquelle l’expo me semble trop faire l’impasse : je n’ai pas vu les références marxistes, anarchistes, trotskistes, maoïstes, situationnistes qui pourtant ont été des carburants des créations culturelles dont il est question. Rien sur l’anti-impérialisme pourtant constitutif du mouvement. Quid des occupations, grèves, mouvements politico-écologiques, conseils ouvriers, tentatives autogestionnaires qui ont occupé les esprits bien après 68. Quant aux grands personnages qui les ont orienté : Sartre, Cohn-Bendit, Serge July, Alain Krivine, Wilhelm Reich, Louis Althusser et bien d’autres acteurs ou penseurs politiques, ils sont manquants.

Une expo très différente de celle récente du Jeu de Paume « Soulèvements », qui montraient les troubles politiques par leurs révoltes, émeutes, agitations, manifestations…

L’esprit français ? Ou un esprit français parmi d’autres ?


Sans doute le choix de l’article défini l’ … dans l’intitulé de l’expo est-il beaucoup trop restrictif. Raphael Glucksman dans son dernier essai « Notre France » 
définit un esprit français bien plus large : il soutient que la France est avant tout philosophique, que notre identité est le fruit complexe des pensées cartésiennes, voltairiennes, et rabelaisiennes. L’anti-autoritarisme et le jouir sans entrave soixante huitards apparaissent ainsi singulièrement partiels : un esprit français certes, mais parmi bon nombre d’autres. En n’oubliant pas qu’un autre esprit français, de couleur brune, a longtemps glorifié la colonisation violente, a collaboré gentiment avec l’Allemagne nazie, et s’apprête aujourd’hui à voter contre Voltaire. Il n'avait pas non plus disparu en 68.


Seulement français ?


Il est vrai que les Lumières ont été allumées en France, que nous fûmes presque les premiers à trancher des têtes de monarques, que notre pays a offert la Liberté au monde. Mais le mouvement de 68 ne fut pas juste national, mais bien quasi planétaire. Pour la politiste Isabelle Sommier, ce caractère international s'explique par la crise mondiale des partisans du marxisme à cette époque, par l'émergence d'une sociabilité autonome de la jeunesse, par les problèmes structurels apportés par la démocratisation des universités, et particulièrement par le rejet général de la guerre du Vietnam (Wiki). 
Un esprit pas seulement français donc : celui de l’air revendicatif du temps de cette époque, quasi universel. 



Et la révolte camusienne, est-ce un certain esprit français ?


Pendant que le Professeur Choron sévissait, que les murs interdisaient d’interdire et que le torchon brûlait, la visée morale de Camus détrônait doucement la radicalité de Sartre. Peu à peu, en prenant conscience des dérives staliniennes, le monde se rangeait de plus en plus au point de vue de Camus, de celui qui fustigeait les partisans du tout ou du rien amenant un nouvel ordre suivi d’un chaos inéluctable. Cette volonté de créer de la valeur morale s’oppose frontalement au nihilisme d’un univers sans loi, et donc à tout un esprit de 68. Ces tournants majeurs de la pensée, en France comme ailleurs, n’apparaissent pas dans l’expo.

Un esprit libertaire propre à 68, malgré tout bien cerné par l’expo


Pour l'historien Patrick Rotman : « Il est impossible de prendre « 68 » comme un bloc homogène … Dans le mouvement de 68 se mêlent une aspiration démocratique et un vertige messianique, une volonté libertaire et des comportements totalitaires, une incroyable modernité et un affligeant archaïsme, le besoin d’une générosité collective et l’affirmation d’un individualisme exacerbé… Mai 68 ne peut donc être réduit à une seule dimension, forcément partiale, forcément partielle. »