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jeudi 13 septembre 2018

Mademoiselle de Joncquières, le film

Des liaisons ennuyeuses

Qu'aime-t-on en général dans les films en costumes ? Certes les magnifiques accoutrements, mais aussi et surtout les dialogues ciselés par la langue du XVIIIème, le contexte historique, la trame fine et élaborée comme dans les romans de l'époque. Hélas, rien de cela dans ce film. Lointaine transposition de Diderot, les échanges verbaux sont verbeux, plats ("Un bonheur qui ne dure pas, c'est du plaisir" "Nos sentiments sont aussi pleins de tendresse que de raison"…) et aussi extrêmement répétitifs. Le cadre historique se réduit à des décors rebattus, à des robes trop proprettes, et il nous présente un libertinage simplifié, ignorant sa dimension révolutionnaire de libre-pensée et de négation religieuse, niant même par la pruderie extrême des images que les libertins sont aussi des jouisseurs. Au moment suprême d'un rapprochement des amants sur le canapé, la caméra se détourne sagement sur un livre qu'une main dépose sur un autre ! Aucune sensualité donc dans ce film bien amidonné. Quant à l'intrigue, elle ne devient intéressante qu'à la toute fin, après qu'une heure ennuyeuse s'est passée sans que presque rien ne se passe.


Un téléfilm ? 

Mais le plus terne est dans la réalisation. L'image ne traduit ni les sentiments ni les situations. Quelles que soient les circonstances, même lorsqu'elles se voudraient dramatiques, la mise en scène se borne à quelques tableaux : les promenades dans les
allées printanières du château, le déplacement de vases fleuris d'une cheminée à l'autre, des plans moyens des protagonistes filmés devant un lambris ouvragé dans leur somptueux costume.

L'éclairage invariablement trop lumineux ne varie pas lorsque les circonstances s'assombrissent. La musique de cour, forte et omniprésente, ne module pas les progressions du scénario. Cela fait très scolaire, quasiment un téléfilm. Dans de telles conditions, comment le jeu de Cécile de France et d'Édouard Baer pourrait-il bien s'en sortir : des demi-sourires égaux et convenus, un débit constant et assez gauche presque d'un bout à l'autre du film. La souffrance de Baer se traduit juste par un col dégrafé et une mèche rebelle, celle de C. de France par rien.

Un étrange féminisme

Et puis cet anachronisme dans l'allusion sous-jacente au féminisme : une question abordée pour coller à notre époque alors que l'époque évoquée ne l'aborde pas encore : Condorcet n'en a pas encore parlé. Diderot, dans son essai "Sur les Femmes", décrit "l'enfermement de la femme dans son infériorité physique", et à lire nombre de ses citations on le taxerait aujourd'hui de fieffé misogyne (Ex : "Il est aussi ridicule à un homme de croire les femmes fidèles que leur être fidèle"). De quel féminisme étrange s'agit-il dans le film même, puisque le dénouement nous montre un homme certes libertin et infidèle mais qui se révèle courageux et sensible, face à une femme que l'on pensait intègre mais dont la fragilité en fait finalement la pire des vipères ?