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lundi 29 mai 2017

Cuba si ! Cuba no !


Les débats à propos de l’île et du régime castriste sont toujours très polémiques. D’un côté ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une horrible dictature, de l’autre ceux qui défendent les exceptionnelles avancées obtenues par le pouvoir. Chacun campe fermement sur sa position, et les passions sont irréconciliables.
  
Mais pourquoi trancher ? Mon récent voyage à Cuba ne m’a guère poussé à le faire. Ce qui m’est apparu : un pays joyeux, des gens cultivés, des équipements meilleurs que ce qui est souvent dit. Le reste, tout le négatif, bien que peu visible, coexiste : la limitation de la parole, l’état de pauvreté des provinces, la pesanteur bureaucratique.


Des clichés ?

Examinons d’abord les appréciations fréquentes sur l’état du pays, parfois des clichés :

Vous verrez : « On mange mal à Cuba ».

C’est vrai que la variété n’est pas au rendez-vous : trop de riz, de poulet, et trop de langouste…
Mais il s’agit souvent d’une cuisine familiale, fraîche et copieuse. Et les magnifiques petits déjeuners dans les casas particulares (chambres d’hôtes) méritent le voyage !

Vous verrez : « Les routes sont défoncées, impraticables ».

Le revêtement de la grande et unique autoroute n’est certes pas parfait, mais jamais dangereux, même à 120 km/h. Les routes sont bien revêtues ! Certes, si on veut atteindre certains cayos du bout du monde, il faudra contourner les trous béants sur des pistes désertes…

Vous verrez : « Le pays est complètement inorganisé ».

Certes, il faut patienter longtemps dans des queues interminables. Pour acheter une carte wifi, pour réserver une excursion, pour enfin pouvoir monter dans le véhicule de location pourtant réservé à l’avance, pour faire le plein d’essence. Mais tout finit par se résoudre. Le secret pour bien voyager à Cuba, c’est la patience ! On est loin ici de la rentabilisation du temps propre à nos sociétés occidentales.

Vous verrez : « Le pays n’est que ruines »

Façades lépreuses, trous béants dans la structure, squelettes prêts à s’écrouler… Parcourant certains quartiers de la Havane cela fait peine de rencontrer ces presque ruines, alors qu’il s’agissait à l’origine de superbes constructions. Faute d’entretien, manque de matériaux du fait de l’embargo, pénurie générale pendant les années 90. 

Mais dans d’autres quartiers comme le Vedado, on admire nombre de maisons, d’hôtels particuliers, de petites ou grandes résidences parfaitement entretenus.
Et dans les villes de province que j’ai visitées, les habitations sont souvent ripolinées de frais, avec une palette joyeuse de couleurs des devantures, passant sans hésiter du rose confiserie au vert gaillard, d’un violet aubergine au bleu Marjorelle… Rentré à Paris, j’ai pleuré sur le triste gris et le crème léger auxquels ne renoncent jamais nos façades.

Vous verrez : « Ils n’ont rien »


« Les salaires sont miséreux » « Apportez du savon, du shampoing à offrir ». Les salaires versés par l’état laissent pantois : à peine l’équivalent en pesos d’une trentaine d’euros par mois. Même si le logement, l’éducation et la santé sont gratuits, même si les familles se voient dotées chaque mois d’un petit panier de victuailles, le salaire moyen reste minime. La double monnaie (le peso et le CUC) provoque des disparités considérables selon l’activité de chacun. En fait, le niveau de vie à Cuba reste pour le visiteur assez mystérieux. Confortable sans doute pour tous ceux qui vivent du tourisme ou gravitent autour de lui, aussi pour ceux qui reçoivent des subsides de la famille émigrée, pour ceux qui ont accès aux CUC, même indirectement. Assez miséreux probablement (bien qu’il n’y ait pas de sdf visible en ville) pour ceux qui ne peuvent pas acheter grand-chose parce qu'ils n'ont accès qu’aux pesos locaux.
 

Les zones rurales sont particulièrement indigentes : la fréquence des attelages de chevaux et des jougs de bœufs en est un indice voyant…

Attention toutefois à tenir compte du niveau des prix libellés en pesos : très élevés pour les produits importés (qui peut acheter une voiture ? un tracteur ?), mais très faibles pour les denrées locales (j’ai pu payer en pesos un excellent beignet l’équivalent d’un centime d’euro, une belle glace à la terrasse du Coppolia moins d’un demi-euro, et un panier de fruits environ un euro).

“Vous ne le verrez pas, mais il n’y a pas à Cuba de libre parole”


Récemment, Segolène Royal a affirmé bien vite qu'il n'y a pas de prisonniers politiques à Cuba. Ils semblent pourtant être aujourd'hui plus d'une centaine coupables de délit d'opinion, et ils ont été plusieurs milliers dans les années 60, certains y ont perdu la vie. 

La presse à Cuba n'est pas libre, et des comités de quartier ouvrent l'œil sur les activités du voisinage... Mais sans oublier de noter que le régime a une certaine tolérance envers les artistes, eux qui le critiquent parfois durement. Déjà en 1993, le film culte Fresa y chocolate, bien que tourné à Cuba, ne s'en privait pas, et aujourd'hui il est permis à un écrivain parfois virulent envers le castrisme comme Leonardo Padura (par exemple dans L’homme qui aimait les chiens) de vivre à la Havane.

Vous verrez : « Les équipements sont d’un autre âge ».


Peut-être est-ce vrai dans les lieux éloignés du tourisme, sans doute est-ce le cas pour la part de la population n’ayant pas accès à la monnaie convertible.

Pourtant les très nombreuses casas particulares sont parfaitement équipées : clims japonaises, literie récente, salles de bains carrelées jusqu’au plafond, savon et shampoing fournis, plomberie de qualité (mitigeurs, onéreux raccords rapides …), et les propriétaires répondent aux mails de réservation dans l’heure qui suit. En ville, nombreux sont ceux qui pianotent sur un smartphone de dernière génération. Et la nuit tombée, si on jette un œil furtif à l’intérieur des habitations, on aperçoit un ameublement simple et soigné, où souvent trône un écran certes de dimension modeste, mais plat.
 

Quant aux voitures, elles sont pour beaucoup d’un autre âge puisqu’à peu près le quart d’entre-elles sont de vieilles superbes américaines des années 50, rafistolées par des génies de la mécanique.
 

Le reste se partage entre Ladas soviétiques, récentes confortables berlines chinoises et tout venant. Dans les bureaux, le travail semble partout géré par ordinateur, même si ce n’est pas avec le dernier processeur et sous le dernier Windows (et surtout pas sous l’américain IOS).


Avec qui comparer ?


Bien sûr, si on compare l’état économique du pays à celui des pays développés, la conclusion est inexorable. En revanche, Cuba a bien des attraits si on pense aux pays latino-américains voisins. Que ce soit Haïti, Panama, l’Équateur… Il règne dans ces territoires une misère et une insécurité extrêmes. Santé et éducation n’y sont pas assurées. Alors que les mesures statistiques donnent à Cuba un immense avantage dans ces deux domaines : 4,8 pour mille de mortalité infantile, mieux que 6 aux USA. Une espérance de vie record et un taux de fécondité comparable à ceux des pays développés. Mieux encore, Cuba détient le record mondial du nombre de médecins par habitant…
 

Aussi un analphabétisme infime (plus faible encore qu’en France !). Plus une part importante de la population suivant ou ayant suivi des études supérieures.

Certes, l’organisation centralisée a provoqué gaspillages et pénuries. Un déficit majeur de productivité peine à se résorber malgré une certaine libéralisation des initiatives privées (par exemple les casas particulares , les Paladares –restaurants familiaux– , des ateliers divers, coiffeurs…).


Et les arts ?


Dans le domaine artistique, outre la littérature citée ci-dessus, se distinguent le théâtre, les arts graphiques et particulièrement la danse classique. Par ses écoles, celle-ci parvient à être populaire tout en atteignant un niveau d’excellence mondial avec le Ballet National de Cuba.

Se promener dans les rues des villes, c’est passer de la couleur vive d’une façade à l’autre. C’est marcher parmi la prévenance et la bonne humeur. C’est se déhancher au son métissé des rythmes salsas, mambos, congas et autres raps, reggaetons, technos…


Une dignité commune


Partout, on sent une fierté d’être cubain, peut-être celle de rester une notoriété politique mondiale, une référence au moins pour l’Amérique latine progressiste. Survivre la tête haute malgré l’embargo décrété par le puissant voisin américain, un embargo encore d’actualité par exemple pour ce qui est du web avec l’interdiction de se connecter aux câbles sous-marins, ce qui restreint fortement les bandes-passantes. 

Malgré les ratés économiques, en dépit des graves atteintes aux libertés, s’être sorti d’une misère endémique par une révolution autonome, avoir banni le rang peu enviable de bordel et de casino des USA, voilà qui cimente le pays autour d’une dignité commune.


Cuba si ! Cuba no !

Mes appréciations sont-elles neutres ? Sans doute pas, tant le pays provoque l’intérêt et la sympathie. Tout n’est pas noir à Cuba, tout n’est certes pas blanc… À Cuba, tout est en couleurs.