Quel nez !
Hier soir, le nez de Cyrano mesurait au moins dix mètres, quinze peut-être. Bien plus qu’un perchoir à oiseaux, ou qu’une boîte à ciseaux… Presque un pic, quasi un cap… Sur l’écran, le célèbre tarin suggérait une péninsule… C’est que l’écran est immense, celui de la grande salle du cinéma Gaumont-Convention qui diffusait en direct le Cyrano de la Comédie Française. Quel nez donc ! Et quelle jubilation de le contempler de si près.
Une soirée au « cinhâtre »
Même assis aux premiers rangs des fauteuils d’orchestre du théâtre Français, on ne peut tout voir aussi bien. Là, comme dans un film, la moindre mimique est perceptible, et cela décuple les émotions. Alors on ne sait plus en effet si on est au ciné ou au théâtre. Bof, ni l’un ni l’autre, pourraient dire les grincheux. Moi, je dirais les deux mon capitaine, ou plutôt je dis avoir fréquenté un concept nouveau, que je suis allé au cinhâtre (j'ai conservé le h et l'accent circonflexe par respect pour la noble institution, et tant pis si le néologisme n'est pas élégant, on s'y habituera...)
Un autre plaisir
Bien sûr, on ne goûte pas l’atmosphère fébrile de la salle Richelieu, on n’admire pas sa
belle et vénérable parure. On ne respire pas la douce odeur des baignoires cramoisies. On ne jouit pas de la présence physique des comédiens. Bien sûr, puisqu’on n’est pas au théâtre : on est au cinhâtre !
belle et vénérable parure. On ne respire pas la douce odeur des baignoires cramoisies. On ne jouit pas de la présence physique des comédiens. Bien sûr, puisqu’on n’est pas au théâtre : on est au cinhâtre !
Cyano amoureux se sacrifie
Mais quel plaisir d’approcher si intimement les acteurs, d’entendre aussi distinctement les dialogues (mon souvenir d’un récent Roméo & Juliette où, pourtant bien placé, je ne saisissais pas des vers entiers…). Et quel confort d’être assis trois heures dans un large fauteuil. Sans compter la satisfaction de ne pas avoir dépensé une fortune : zéro euro grâce à ma carte ciné, cela n’a pas trop grevé mon budget « sorties ».
La tirade du nez
D’un point de vue collectif, la diffusion dans des centaines de salles partout en France (bientôt des reprises dans plus de 400 cinémas en France et à l’étranger) permet de généraliser la portée de la pièce, de l’élargir à la province, de permettre à un public potentiel moins fortuné d’apprécier de beaux spectacles, de sortir au théâtre, pardon… au cinhâtre. Pas loin de 100 000 personnes pour une seule soirée ! Et que les amateurs de vrai théâtre et de distinction sociale se rassurent, il n'est pas question de révoquer le Théâtre véritable, au contraire cette vaste diffusion pourrait lui donner une vie nouvelle.
Bravo à la troupe
Mais revenons au nez gigantesque, ce grand responsable de l’impossible idylle de la belle Roxane avec notre nasique de Cyrano... Michel Vuillermoz excelle derrière son appendice à multiples registres, et la tonique Françoise Gillard nous donne à éprouver tout l’amour que Cyrano lui porte. Dans la mise en scène de Denis Podalydès, quel spectacle vivant la troupe nous donne.
Pour Denis Podalydès, Cyrano est « un rêve de théâtre total, un mélange des arts et des genres : opéra bouffe, tragédie, drame romantique, poésie symboliste, farce moliéresque ». Et en effet la pièce est tour à tour facétieuse, touchante, sociale, subtile...
Ne courez plus au Français puisqu'il affiche complet, courez au cinhâtre !
La touchante scène finale de l'aveu