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mercredi 13 septembre 2017

BARBARA, le film

Être un biopic ou ne pas être un biopic

Tout biopic véritable est inaccessible. Le biopic porte dans sa nature même le factice et l’illusoire. Spectateur de La Môme, j’aurais voulu côtoyer Piaf, mais inévitablement je voyais Marion Cotillard, qui pourtant l’imitait si bien. C’était presque Cloclo que je voyais vivre en Jérémie Renier, mais ce n’était pas lui, forcément ! On ne peut ressusciter un ou une morte, fut-ce par les traits d’un acteur ressemblant, et quelque soit son talent. Ainsi, puisque tout biopic est un leurre, autant le notifier, autant ne pas s’y frotter. C’est cet argument qui justifie pleinement le contournement du genre que Mathieu Amalric opère dans Barbara.


Dédoublement

Le contournement consiste à dédoubler le film, à mettre un film dans le film. Ce ne sera pas un biopic, mais un film dont le sujet est le tournage d’un biopic. Almaric est le réalisateur des deux films gigognes. Celui qui est aux manettes de « Barbara », que l’on sent caché derrière l’écran, et celui que l’on voit apparaître sur l’écran à intervalle régulier, décoiffé, un peu hagard, aux anges de se montrer.
Le vrai et le faux. Au lieu d’essayer vainement de faire passer son actrice pour la chanteuse, le(s) film(s) nous montre(nt) alors cet impossible déguisement : de séquence en
séquence, sans jamais être dupe, au second degré en quelque sorte, Jeanne Balibar joue à se prendre pour Barbara. Revient sans cesse le regard sagace et amusé d’un Amalric n’essayant surtout pas de trop bien contrefaire sa Jeanne en Barbara. Conséquence : nous spectateurs voyons surtout Balibar dévorée des yeux par Amalric. Une Balibar qui, outrepassant la ressemblance, se délecte de se montrer elle. Barbara apparaît alors comme un prétexte d’exhibition.


De l’agacement

La mise en abîme, même justifiée dans le principe, est néanmoins plutôt agaçante parce que trop centrée sur cette conspiration perverse entre le réalisateur ( les réalisateurs…) et son égérie vénérée. L’ego de ces deux-là déborde trop sur les images, il les tache. Et la relation certainement compliquée d’Amalric envers son ex n’a d’intérêt que pour eux (ah, ses regards langoureux…). Au mieux, il s’agirait donc d’un film portant davantage sur une relation idolâtre entre un metteur en scène et son actrice. Mais finalement, c’est Barbara qui se trouve évincée de l’affaire au profit de la prétention du couple. Quelques reconstitutions plutôt bien filmées de la vie de la chanteuse n’y font rien : notre Barbara est quasiment absente. La bande-son le prouve, les chansons sont quasiment toujours interprétées par Balibar : certes pas vraiment assassinées, mais tellement moins bien vocalisées que par Barbara : cela en devient pénible.


De la tromperie

Dans le fond, ce qui corrompt le film, son péché originel, c'est qu'Amalric est visiblement bien plus subjugué par sa Jeanne que par notre Barbara.  Alors, c’est dommage, parce que le titre nous avait promis la présence de la chanteuse, parce que la bande-annonce, elle, nous offre sa véritable voix. Il y a donc un peu de tromperie dans cette affaire, et on comprend les réactions très négatives de nombreux spectateurs, frustrés à juste titre, particulièrement ceux qui aiment Barbara. 


Un peu fumeux

Au final, l’anti-biopic reste un biopic ! Voulant éviter une tricherie de nature, on tombe dans pire : une tricherie d’artifices. Une petite expérience en effet : imaginons un instant de couper les plans du film intérieur, ceux montrant notre Amalric posté derrière sa caméra ou Jeanne Balibar se maquillant. Que reste-t-il alors ? Rien qu’un classique biopic. Et malheureusement un biopic dénué de fil narratif, plutôt fumeux et hors sujet. Un abîme, c’est dangereux, on peut vite y dégringoler.


Et si, malgré tout, on se laissait séduire

Il n’en reste pas moins que le film garde de nombreux intérêts : d’abord cette volonté artistique de sortir de la forme biopic classique. Et puis, pour ne pas céder à l’ennui aux aguets (j’ai regardé l’heure deux fois pendant la séance), sans être dupes des supercheries et des grosses prétentions du couple Balibar-Amalric, on peut se laisser séduire par les jeux de miroir de la mise en scène, par ses permanents brouillages de pistes, par de beaux décors et de superbes images, par un certain charme secret de cette drôle de Barbalibar...

Tout de même, à la sortie de la salle, j’ai ressenti une urgence : écouter un disque de Barbara.