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dimanche 20 mai 2018

« Au diapason du monde », volumineuse expo à la Fondation Vuitton, jusqu'au 27 août

Près de 200 œuvres sorties des collections de la Fondation d'Art LVMH, l’objectif affiché étant d'interroger la place de l'Homme dans la Nature.

Takashi Murakami et les autres

L'expo se divise en deux grandes parties : celle consacrée à l'artiste néo-pop japonais Takashi Murakami (à ne pas confondre avec le futur probable prix Nobel de littérature Haruki Murakami), et l'autre partie, très hétéroclite, néanmoins remarquablement riche, où on retrouve d'importantes œuvres contemporaines et des  créations de grands artistes du siècle passé.

Takashi Murakami, un accrochage quelque peu dérangeant


Une bonne expo interroge sur l'Art. C'est le cas d'une autre expo "Artistes et Robots" au Grand Palais, et aussi, à un tout autre niveau, de celle-ci. 

Certes, on savait que l'Art n'est pas désintéressé, mais on en a ici une preuve nouvelle par l'omniprésence dans des locaux LVMH de celui qui a travaillé pour la firme à un échelon industriel. Le designer Murakami a en effet estampillé nombre de sacs à main Vuitton, et c'est lui qui a réinventé le monogramme de la marque. 

Ces relations marchandes peuvent déranger, d'autant que Murakami, jet-set et star-system, loin de l'image de l'artiste isolé et bohème, est à la tête d'un véritable empire de production, la Kaikai Kiki Company
Il s'agit pour la société de manager des expositions dans les grands lieux culturels du monde, de distribuer les reproductions et les produits dérivés (peluches, badges, T-shirts, jeux vidéos…), mais aussi d'employer les auxiliaires de fabrication des œuvres. Car le créateur Murakami dessine et peint l'esquisse, mais pour parvenir au gigantisme de certaines productions, il faudra scans, informatique, impressions et une armée d'assistants-dessinateurs. Pour plus de détails, lire ce qu'en dit l'Observatoire de l'Art contemporain.
Murakami est aujourd'hui sixième au classement mondial des artistes vivants les plus chers au monde. La sculpture en résine My lonesome cowboy (non exposée ici) a été adjugée pour plus de quinze millions de dollars.
My lonesome cowboy
 
Certes, Vuitton a le droit d'accrocher son associé Murakami, mais comment dans ces conditions garantir la neutralité dans le jugement artistique ? Un bel exemple de marchandisation de l'Art. D'autant que l'association, au sein de la même expo, de Murakami avec des artistes majeurs semble récompenser d'une sorte de consécration le pop-producteur japonais. Que celui qui douterait de son flat-art voie quels maîtres on le fait côtoyer ici : les Giacometti, Klein, Picasso…

La financiarisation peut aller de pair avec la qualité des œuvres


Qu'en est-il de l'esthétique Murakami ? Certes son côté outrancier, halluciné peut rebuter. Il est vrai que le flashy et la saturation des couleurs agressent.



Oui, il y a une surenchère démesurée d'une imagerie manga déjà sans retenue
.
En effet le gigantisme de certaines œuvres stupéfie : on entend "Ouah !..." à l'entrée de certaines salles, et cette sidération peut couper court à tout jugement serein.

Il n'empêche, Murakami propose une plastique intéressante, captivante à plusieurs niveaux:

1. Il est le chef de file d'un important mouvement esthétique : la filière japonaise du néo-pop dénommée Superflat. Héritier de Warhol et du pop art US, Murakami revendique à juste titre une spécificité face au parangon occidental. 
Détail

Détails
2. Murakami a su créer un monde protéiforme bien à lui. Délires et facéties, monstruosités et enfantillages s'éclatent en couleurs et sans tabou à travers une orgie de personnages extraits à la fois de l'imagerie manga, de mythes passés, des thèmes des maîtres japonais traditionnels, du bouddhisme.
 
3. Association de technologie et de tradition, la forme plastique des œuvres retient l'œil et l'attention. En effet, là où se font sentir l'utilisation quasi industrielle de l'informatique et de ses moyens graphiques en 2D ou en 3D, apparaît un travail raffiné et subtil issu de techniques orientales coutumières. Sous le copié-collé, il y a le pinceau et la plume, les encres de Chine, pardon du Japon.



4. Le terme "Poku", comme Murakami surnomme un aspect de sa production, est la contraction de Pop et Otaku, ce dernier mot désignant les mangas japonais. L'artiste réussit ainsi une rare association, celle de l'Art avec un grand A, celui nourri aux écoles mondiales et pétri de références, avec un Art populaire. Ici la BD, et particulièrement cet Otaku omniprésent au Japon. Les réactions à la fois intéressées et joyeuses des enfants présents à l'expo illustrent cette double facette. Fait assez rare pour le signaler, les mouflets ont envie que la visite dure.


Irradiances - Là infiniment - L’Homme qui chavire


Ce sont les intitulés des trois parcours qui jouxtent le focus sur Murakami. On y voit un grand nombre d'œuvres, souvent d'artistes majeurs, autour du thème de la place de l'Homme dans la Nature. En voici une sélection très succincte : 
Eponge Klein - 1960 - Yves Klein 

Forme éponge- 2015 - Matthew Barney

Reports of the rain - 2014 - Mark Bradford

Après - Chrsitian Boltanski
La ballata de Trotski - 1996 - Maurizio Cattelan



Images situées au-delà de la photographie, pourtant utilisant ses techniques numériques et ses tirages argentiques, voici des figures modélisées, des visages singulièrement dénués de toute expression... Pour moi l'oeuvre la plus émouvante, la plus mystérieuse de l'expo.